Chronique économique quotidienne - France Inter - 26 février 2008
Liem Hoang Ngoc : Ma chère Patricia, savez-vous quelle question vitale se pose tout jeune marié qui souhaite fonder une famille ?
Patricia Martin : Non…
LHN : Mes bourses sont-elles pleines ?...
On peut rassurer le Président de la République et son Premier ministre, l’Etat est loin d’être impuissant et la France n’est aucunement en faillite. Tout compte de patrimoine comporte certes un passif, la dette. Mais il inclut aussi un actif, en l’occurrence les bijoux de famille que détient l’Etat : les actifs, les infrastructures, les écoles, les hôpitaux, etc. A cet égard, le solde net est positif, il représente 20% du PIB.
P.M. : Mais la France ne respecte pas le pacte de stabilité ?
Certes, le taux d’endettement dépasse les 60% du PIB autorisé par le pacte de stabilité. Mais aucun des grands pays de l’Eurogroupe, excepté l’Espagne, ne respecte ce pacte, dont Romano Prodi dit qu’il est une stupidité. Et il n’a pas tort. Il existe aujourd’hui une abondante épargne que les entreprises n’utilisent pas pour l’investissement, désespérément en panne, malgré un léger regain dernièrement.
Cette épargne est particulièrement friande d’obligations d’Etat, émise par L’agence France Trésor, qui est l’un des payeurs les plus sûrs au monde. L’Etat peut donc emprunter à des taux d’intérêt extrêmement bas pour financer des dépenses porteuses d’avenir, notamment les dépenses d’investissement et d’innovations que les entreprises privées ne réalisent pas.
L’Etat pourrait même relever le traitement de ses serviteurs, qu’il considérait jadis comme les hussards de la République. En l’absence d’une telle mobilisation des ressources financières pour la politique publique, l’économie plongerait dans la récession, faute de dépenses privées. Henri Guaino, jadis pourfendeur de la pensée unique, avait raison sur cette antenne d’en appeler au volontarisme de la politique publique, à l’heure où l’initiative privée est atone. Alain Minc lui-même, pourtant symbole de la pensée unique, ne disait pas autre chose à ce propos mardi dernier à Nicolas Demorand.
P.M. : Le Président de la République est donc bien conseillé ?
On ne peut pas vraiment l’affirmer. Une objection doit être faite aux conseillers de l’actuel Prince.
Emprunter pour soutenir la croissance : oui ! Encore faut-il que le décideur public réalise les bons choix.
On ne ressortira pas ici la tarte à la crème du paquet fiscal, des franchises médicales et des compressions de personnels, comme exemples de choix budgétaires discutables. On sait déjà que les déficits vont se creuser parce que le choc sur la croissance n’aura pas lieu et que les recettes fiscales feront défaut.
On peut par contre souhaiter que d’autres choix, ayant un réel impact sur la croissance, puissent voir le jour dans les lois de finance à venir.
C’est à cette condition que la dette se réduira : non pas parce qu’on aura comprimé inutilement la dépense publique, mais parce que la dépense publique est susceptible de soutenir la croissance. Une croissance qui engendre en fin de course les recettes fiscales permettant de résorber les déficits.
Souvenons nous qu’entre 1998 et 2001, un taux de croissance supérieur à 3% avait suffit à ramener les comptes sociaux à l’équilibre.
Le dicton du jour : «trop de rigueur tue la rigueur !».
La question du jour : la baisse du pouvoir d’achat est-elle une illusion ?
Elle est en tout cas la préoccupation n°1 des Français. A l’heure où les prix flambent et où les entreprises cotées font des bénéfices records, les conflits sur les salaires réapparaissent même dans le secteur privé. Le MEDEF n’a pourtant de cesse de répéter que la baisse du pouvoir d’achat n’est pas réelle mais ressentie.
Patricia Martin : Alors qui croire ?
LHN : Bernard Marris a rappelé vendredi dernier que le revenu salarial net moyen calculé par l’INSEE avait stagné de 1978 à 2002 et qu’il a baissé depuis 5 ans.
Si l’on tient compte de l’inflation, en moyenne de 2% par an, le pouvoir d’achat d’une grande partie de la population a donc bel et bien été entamé depuis 30 ans, d’autant plus que le poids du logement est sous-estimé dans l’indice des prix de l’INSEE. Celui-ci considère que les dépenses de logement représentent seulement 14% du budget d’un ménage, alors qu’en réalité, ce chiffre approche parfois la moitié du revenu !
De plus, on sait maintenant que les prix dans la grande distribution ont grimpé de 29% depuis le passage à l’euro et que certains produits de consommation courante ont encore augmenté de près de 40% depuis 3 mois !
P.M. : Le pouvoir d’achat a-t-il baissé pour tout le monde ?
Non. Au cours de ces 10 dernières années, le revenu déclaré des 5% des contribuables français les plus riches a augmenté de 11%. Le revenu des 1% les plus aisés a augmenté de 19,4% et celui des 0,1% les plus fortunés de 32%.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la croissance française soit devenue tributaire de la consommation et de la spéculation des classes aisées.
Quant à ceux qui se lèvent tôt, les réformes structurelles de la protection sociale et du marché du travail aggraveront leurs situations, déjà difficiles. La moitié de la population gagne moins de 1480 euros par mois. 17% des salariés sont au SMIC et 7 millions de pauvres vivent avec moins de 718 euros par mois. Les classes moyennes ne sont plus épargnées.
Alors que la France subit une panne d’investissement, la baisse du pouvoir d’achat des classes populaires accentuera encore le repli de la croissance, qui sera inférieure aux hypothèses sur lesquelles la loi de finance a été construite. Les déficits se creuseront donc à nouveaux inutilement. Par conséquent, la hausse des salaires est non seulement une urgence sociale. Elle aussi devenue une nécessité macroéconomique.
P.M. : La situation va-t-elle s’arranger en 2008 ?
Pas vraiment. Le gouvernement projetait d’augmenter la TVA. Il faudrait la baisser.
Les salariés du public vont encore perdre du pouvoir d’achat. Leurs salaires n’augmenteront que de 0,5% en mars et de 0,3% en octobre, soit 0,56% en moyenne annuelle alors que le niveau général des prix flirte avec les 3% et que certains produits flambent.
Ces piètres augmentations serviront de référence dans le privé où les syndicats affaiblis n’obtiendront guère mieux.
Toutefois, la dégradation des salaires est telle que certaines entreprises, face à la résurgence de conflits, commencent à renouer avec la bonne vieille augmentation générale indexée sur l’inflation et les gains de productivité.
Le dicton du jour : «La feuille de paie n’est pas l’ennemie de l’emploi», c’était de Jacques Chirac en avril 1995.