elon que l'on en attendait beaucoup ou pas grand-chose, on a été déçu ou enthousiasmé par le communiqué final du G20. Du moins, le pire n'a pas eu lieu : la répétition de la conférence qui s'était tenue elle aussi à Londres, en 1933, lors de la Grande Dépression, et qui s'était soldée par un fiasco complet
A-t-on assisté au meilleur ? Cela ne fait aucun doute, en matière de communication et de mise en scène. Avec un jeu d'acteurs de grande qualité, des méchants bien identifiés (les paradis fiscaux, les hedge funds, les agences de notation), des gentils autodésignés (les Allemands et les Français), avec ce qu'il fallait, aussi, de suspense - "Nicolas Sarkozy va-t-il claquer la porte ?" - pour que le dénouement heureux de cette pièce de théâtre déchaîne les applaudissements des citoyens-spectateurs. Il faudra voir si leur bonne humeur résiste longtemps aux annonces de plans sociaux et pour savoir vraiment si l'"opération confiance restaurée" menée par les dirigeants du G20 est un succès.
Sur le fond ? Encore peu d'avancées concrètes sur les dossiers techniques, mais la promesse d'y travailler d'arrache-pied. Des bizarreries aussi, comme celle consistant à ne faire figurer sur la liste "noire" des paradis fiscaux que quatre malheureux pays (Costa Rica, Malaisie, Philippines et Uruguay) dont on ignorait même qu'ils avaient ce statut. Brunei et le Guatemala avaient eu la bonne idée de téléphoner jeudi matin à l'OCDE en promettant d'être plus coopératifs, ce qui leur permit d'être rayés in extremis, tandis que Jersey a été miraculeusement classé dans les pays "blancs", c'est-à-dire au-dessus de tout soupçon.
Des non-dits également, lourds de sens, sur des sujets majeurs. Pas un mot sur la réorganisation du système monétaire international et sur la remise en cause de l'étalon-dollar - la Maison Blanche en ayant fait un casus belli. Pas un mot sur la fin de non-recevoir opposée par les Européens aux demandes insistantes des Américains et du FMI pour qu'ils relancent plus vigoureusement leurs économies. Pas un mot sur les moyens de s'attaquer aux gigantesques déséquilibres commerciaux, largement responsables de la crise. Pas un mot, surtout, sur la façon dont les Etats comptent s'y prendre pour assainir un jour leurs finances publiques, dont la situation effraierait n'importe quelle commission de surendettement.
Quelques inquiétudes, enfin. Par exemple sur le rôle de grand superviseur mondial dévolu au FMI. Une idée en elle-même excellente, mais qui serait encore plus rassurante si l'institution n'était passée totalement à côté de la crise des subprimes. Elle n'a rien vu venir et elle a ensuite beaucoup tardé à réagir. On reste aussi un peu dubitatif sur la façon dont vont "collaborer" le FMI, dépendant des politiques, et le Conseil de stabilité financière, entre les mains des banquiers centraux, quand on sait la méfiance réciproque que les deux parties se vouent.
Le nouveau monde né à Londres risque de ressembler à l'ancien. Le moteur de la croissance mondiale va rester, sans doute pour longtemps - et quoi qu'en dise M. Obama -, la consommation des ménages américains. Qui vont continuer à s'endetter pendant que les fonds spéculatifs vont continuer à spéculer, les agences de notation à noter et les traders de Goldman Sachs à empocher des bonus représentant plusieurs centaines d'années de smic.
On peut comprendre l'amertume de tous ceux qui se disaient qu'un autre monde était possible. Mais ils ne doivent s'en prendre qu'à eux-mêmes et à leur incapacité à présenter des propositions alternatives un tantinet réalistes. Il n'y a pas que le laisser-faire anglo-saxon à sortir en loques du G20. L'altermondialisme aussi.
A Londres, vingt dirigeants de pays représentant 85% du PIB mondial et 65% de la population de la planète ont décidé d'unir leurs efforts, comme jamais, et de mobiliser plusieurs milliers de milliards de dollars pour sauver le système. Pas pour en changer. Le G20, c'est la victoire par K.-O. de la "mondialisation libérale" dont on pensait pourtant que les subprimes l'avaient durement éprouvée. Non seulement les chefs d'Etat ont rejeté toute idée de protectionnisme, mais ils se sont engagés à débloquer le cycle de négociation commerciale de Doha.
Triomphe de la mondialisation libérale, triomphe aussi - et comme ça tout le monde est content - du communisme. Ou plus exactement de la Chine qui s'en réclame encore officiellement, même si l'on ne voit plus très bien, avec ses milliardaires, sa folie pour la Bourse et ses inégalités record, ce qui subsiste du projet marxiste. Le président Hu Jintao fut la vraie vedette du sommet de Londres. Les autres participants, à commencer par M. Obama, guettèrent le moindre de ses froncements de sourcils, de peur qu'il ne soit un signal pour une vente massive de bons du Trésor. La Chine, dont on dit que l'économie commence déjà à repartir et qui pourrait enregistrer cette année une croissance de plus de 6%, alors que les pays de l'OCDE verraient leur PIB baisser de près de 5%. La Chine, leader de ces BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) dont les PIB réunis devraient, selon l'économiste de Goldman Sachs Jim O'Neill, dépasser celui des pays du G7 dès 2027, soit huit ans plus tôt qu'il ne le prévoyait avant la crise. La Chine, enfin, première puissance économique d'une Asie qui, toujours selon M. O'Neill, devrait occuper dans vingt ans trois des quatre premières places du classement mondial. Finalement, Le Déclin de l'Occident aurait été un excellent titre pour la pièce de théâtre que les dirigeants du G20 nous ont jouée avec brio à Londres.
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