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3 avril 2009 5 03 /04 /avril /2009 14:42
Pierre Cahuc et André Zylberberg : "La méthode Sarkozy : organiser l'opacité"
LE MONDE | 03.04.09 | 14h06  •  Mis à jour le 03.04.09 | 14h06

ierre Cahuc et André Zylberberg sont économistes. L'un est notamment professeur à Polytechnique et l'autre directeur de recherches au CNRS.

Dans le livre qui sort chez Flammarion (Le Monde du 20 mars), vous affirmez que les réformes de Nicolas Sarkozy sont non seulement ratées, mais "néfastes". N'est-ce pas excessif ?

Tout dépend de ce qu'on appelle des réformes réussies. Nous avons comparé les objectifs annoncés et les résultats obtenus. Non seulement les objectifs ne sont pas atteints, mais ce qu'on prétendait améliorer a été aggravé.

Prenons des exemples. La rupture conventionnelle, sorte de divorce à l'amiable entre un salarié qui veut quitter son entreprise et son patron. Selon le ministre du travail, c'est la fin d'une hypocrisie qui conduisait au détournement des lois sur le licenciement.

La bonne question : est-ce une réforme adaptée à la modernisation du marché du travail ?, n'a pas été posée. On a gardé l'intégralité du droit du travail, alors qu'il fallait le réformer et on a ajouté la rupture conventionnelle, pour permettre à des personnes qui ont envie de quitter leur entreprise de le faire en bénéficiant des allocations chômage. Cela va profiter à ceux qui sont proches de la retraite.

Ces changements n'ont rien à voir avec cette "sécurité sociale professionnelle" que prônait le candidat Sarkozy. Ils auront pour effet de réduire l'emploi des seniors à un coût exorbitant pour les finances publiques. Ce qu'il faut, c'est rendre le droit du travail plus transparent afin qu'il ne soit pas systématiquement détourné.

La transparence, c'est précisément l'un des maîtres mots de Nicolas Sarkozy.

Il y a un grand écart entre le discours et la pratique. On annonce la transparence et on organise l'opacité. La méthode de Nicolas Sarkozy consiste à lancer beaucoup de chantiers en même temps en concédant facilement des avantages catégoriels pour éviter de bloquer le processus.

Or, sur chacun des chantiers, les opposants aux réformes résistent avec vigueur. Progressivement, Nicolas Sarkozy se retrouve piégé. L'opacité permet de masquer l'échec global d'une réforme en communiquant uniquement sur un aspect ayant l'apparence d'une "réussite", par exemple l'allongement de la durée de cotisation pour les régimes spéciaux de retraite. Tous les avantages concédés en contrepartie ne sont pas évoqués. Pire, le gouvernement a imposé de ne publier aucun chiffrage officiel sur le sujet pendant la réforme. Un récent rapport du Sénat indique que cette réforme va sans doute coûter plus cher qu'elle ne rapporte, contrairement à l'objectif annoncé.

Il y a tout de même des réalisations. C'est le cas des taxis, dont le nombre vient enfin d'augmenter.

C'est l'exemple même de l'impréparation. En installant la commission Attali, Nicolas Sarkozy déclarait : il n'y a pas assez de taxis en France et ce n'est pas le plus difficile à réformer. Or quand on possède un taxi, on a une licence. A Paris, elle vaut autour de 180 000 euros. Si l'on veut réformer, il ne faut pas spolier les propriétaires de ces licences, il faut donc les dédommager pour ensuite ouvrir la profession.

Le rapport Attali prévoyait d'ouvrir la profession sans se préoccuper de dédommager les chauffeurs de taxi. Face à une telle injustice, la profession s'est mobilisée. Le gouvernement a alors bouclé à la va-vite un accord claironnant une augmentation de 5 000 taxis à Paris. En réalité, on arrive à ce chiffre par tout un tas d'arguments comptables - des "équivalents taxis" parce qu'on roule une heure de plus ou qu'on assouplit la réglementation, etc. En outre, il a été obtenu une voie réservée sur l'autoroute A1 pour rejoindre l'aéroport Charles-de-Gaulle, mais son coût sera considérable. Le bilan global est qu'il n'y a pas plus de taxis que ce qui était prévu avant la réforme, que les conducteurs ont un peu amélioré leur situation, mais au détriment des usagers et des contribuables. Cet exemple peut sembler anecdotique, mais le processus est le même sur toutes les grandes questions, notamment la loi sur la modernisation de l'économie.

Sur ce sujet, pendant la campagne pour l'élection présidentielle, Nicolas Sarkozy, comme Ségolène Royal, estimait que les lois Raffarin et Galland devaient être supprimées.

Il est vrai que, à peine élu, le chef de l'Etat a affirmé que le grand commerce de détail fonctionnait mal, que la concurrence n'était pas au rendez-vous, et que les prix étaient supérieurs à ce qu'ils sont dans des pays comparables au nôtre.

Pour y remédier, il faut permettre à de nouvelles enseignes de s'installer dans des zones de chalandise en faisant concurrence à celles qui sont en place. Le projet de réforme proposé allait timidement en ce sens. Mais les amendements parlementaires ont complexifié la loi et renforcé les difficultés pour les nouveaux arrivants. En pratique, les élus locaux pourront contrôler l'installation de tout magasin d'une surface supérieure à 300 mètres carrés, exactement le même seuil que celui de la loi Raffarin... que l'on voulait supprimer ! Ce qui donne un avantage aux enseignes en place qui s'entendent avec les élus locaux pour obtenir une extension de leurs surfaces. Et le manque de concurrence persiste.

On assiste encore à un grand écart entre la communication et la réalisation. On peut se demander jusqu'à quand ça va durer.

40 % de plus d'heures supplémentaires, grâce à leur défiscalisation, n'est-ce pas là une réussite ?

Il y a en effet 40 % d'heures supplémentaires de plus qui sont déclarées. Mais ces 40 % existaient, sans être déclarées, grâce à tout un système de primes et autres avantages. Désormais, il est plus intéressant de les déclarer, puisqu'elles sont défiscalisées, mais, du point de vue de l'activité, il n'y a pas de changement significatif. C'est du pur opportunisme fiscal sur le dos des contribuables. Quatre milliards d'euros pour l'instant, et 6 milliards envisagés en régime de croisière. C'est un manque à gagner énorme pour les finances publiques sans effet avéré sur l'activité.

La défiscalisation des heures supplémentaires est une réponse idéologique, pour faire passer le message "travailler plus pour gagner plus". Un message politique, comme l'était celui de la gauche avec les 35 heures, en négligeant, à chaque fois, la manière dont fonctionne l'économie.

Alors, la France serait-elle irréformable ?

Certainement pas. Mais il faut au préalable réformer notre démocratie sociale. Or la réforme de la représentativité syndicale menée par le président Sarkozy est aussi un échec. Désormais, la représentativité d'un syndicat se fonde sur son score aux élections professionnelles.

Cela ne fait que modifier le rapport de force entre les organisations sans s'attaquer aux défauts majeurs qui minent les relations sociales dans notre pays : la désyndicalisation massive des salariés du privé et le financement opaque, souvent à la limite de la légalité, des organisations syndicales.

L'autre priorité touche à la réforme de la démocratie politique. Elle suppose que l'on renforce le Parlement, en particulier en mettant fin au cumul des mandats et en améliorant les moyens dont disposent nos parlementaires. L'influence des groupes de pression pour faire obstacle au changement ou en tirer tous les bénéfices aurait alors plus de chance d'être mieux maîtrisée. Faute d'avoir fait un préalable de ces deux chantiers et de les avoir menés à terme, il y avait peu de chances de réussir des changements d'envergure.


Propos recueillis par Josyane Savigneau
Article paru dans l'édition du 04.04.09
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