Le verdict des urnes est tombé. Après 4 ans de gouvernement Conservateurs-Libéraux, 6 semaines d’une campagne de piètre qualité, et une nuit d’attente de résultats serrés, le directeur de la commission électorale a publié des résultats quasi-définitifs.
Le gouvernement sortant a été battu, mais Merkel triomphe !
Le bloc Union et le SPD sont les deux seuls partis à progresser en voix et en sièges.
Les populistes anti-Euro manquent l’entrée au Bundestag pour 90 000 voix, le FDP libéral le quitte pour la première fois dans son histoire pour 30 000 voix.
La gauche a la majorité absolue en siège, mais nécessite une refondation complète ; le projet SPD-Verts échoue à construire une majorité, le positionnement des Linke et par rapport aux Linke est au cœur de la refondation à venir.
L’Europe peut et doit devenir le marqueur du clivage entre deux visions antinomiques de la société.
Quel que soit l’alliance qui gouvernera – l’Europe sera le champ de bataille. Car toutes les avancées sociales que la gauche souhaitai dans cette campagne – introduction d’un salaire minimum (8,5 € horaire pour le SPD, 10 € pour les Linke) et encadrement des emplois précaires et des mini-jobs, arrêt de la prime aux mères au foyer pour investir dans le système de crèches et assistantes maternelles, réforme des retraites pour abaisser l’age de départ pour les catégories populaires, relance de l’innovation notamment pour la transition énergétique et de la consommation – ont in fine un rôle pour mettre fin aux déséquilibres en Europe.
Les Résultats :
- CDU – le parti d’Angela Merkel – 34,1%
- CSU – son allié catholique bavarois – 7,2%
- Union CDU-CSU : 41,3% et 311 sièges, soit une progression de 8% et d’une centaine de sièges
- SPD : 25,7% et 192 sièges, + 2,4% et + 62 sièges
- Die Linke : 8,4% et 64 sièges, – 3% et – 12 sièges
- Die Grünen : 8,3% et 63 sièges, – 2,3% et – 6 sièges
Prés de 15% des suffrages ne seront pas représentés au Bundestag :
- Les libéraux du FDP, alliés au gouvernement d’Angela Merkel, perdent 10 points à 4,7%, et pour 30 000 voix manquant pour atteindre la barre des 5%, tous leurs élus.
- L’Alternative pour l’Allemagne (AfD), parti populiste anti-Euro, réussit pour sa première élection 4,6% et manque la sensation de peu.
- Les Pirates, qui avaient réussi à entrer dans 4 parlements régionaux depuis 2011, stagnent au niveau national à 2,2%.
- Les néo-nazis du NPD enfin réussissent avec 1,4% à atteindre le minimum de 1% requis pour recevoir le financement public des partis.
- Les divers rassemblent encore prés de 1,5%.
L’analyse politique :
La Droite
Angela Merkel a profondément transformé l’agenda politique de la CDU. D’un parti profondément néolibéral, la CDU s’est déplacé vers le centre, gommant toute position clivante pour apparaître comme le partenaire indispensable à la construction de consensus.
La politique économique de Merkel entre 2009 et 2013 est marqué en Allemagne par le souci d’acheter la paix sociale : pas de réduction des dépenses publiques, et malgré des recettes fiscales bien supérieures aux prévisions, une progression de la dette en 4 ans de 20%.
La CSU est le garant pour satisfaire la clientèle nationale-conservatrice : Prime au maintien des mères au foyer siphonnant les budgets pour le développement des crèches, campagne sur la création de péages autoroutiers réservés «aux étrangers».
L’espace ouvert à droite est béant. Le FDP ne l’a pas compris, et n’en a pas profité. Pire, ses dirigeants n’ont pas compris que leur résultat était dû, en pleine crise financières des banques, à une compétence économique supposée, et non à un message anti-impôts particulièrement simpliste. C’est aussi ce qui a permis l’éclosion de l’Alternative pour l’Allemagne, parti populiste national-libéral, dont le message s’est construit sur une analyse économique de l’Europe et de l’Euro.
L’addition cependant d’un électorat vieillissant anti-impôts, de l’électorat anti-Euro et du NPD montre qu’une alliance populiste sur le modèle FN français, FPÖ autrichien ou Wilders hollandais, a un potentiel à 10-11% en Allemagne.
La gauche :
Le SPD a été traumatisé par la défaite de 2009. L’agenda 2010, notamment sa composante en politique sociale et économique, était une trahison de l’électorat traditionnel du parti et des alliés syndicaux. Cette désaffection n’a pas été compensée par un gain sur l’électorat des classes moyennes et supérieures – le pari social-libéral, la stratégie Terra Nova pour utiliser une comparaison française, est un échec politique, social et économique.
Sigmar Gabriel, bien qu’issu de l’aile droite, fut un adversaire de Gerhard Schröder au sein du SPD régional de Basse-Saxe. En héritant de la présidence du parti, il comprit que ce dont manquait le SPD était d’une vision stratégique pour se reconstruire. Il en a proposé une au Conseil national de Francfort, ainsi qu’aux congrès de Berlin et de Dresde : Mitte-Linke, Centre-gauche, ce qui pour un SPD qui s’inscrivait dans un «Neue Mitte», Nouveau Centre, est un gauchissement.
Cependant, pour reprendre une autre analogie française, le SPD en 2009 était un «cadavre à la renverse». Si le travail programmatique a permis d’établir l’une des plate-formes politique les plus à gauche du SPD depuis la réunification, la perte de substance militante et l’absence de renouvellement à la direction laissent des déficits structurels difficile à combler.
L’analyse des résultats le montre : le SPD a quasiment disparu de certaines régions, ayant perdu sur place tout relais militant. Passer de 800 000 militants en 1998 à moins de 460 000 en 2013 c’est aussi perdre le maillage du territoire, vivre sur l’engagement de militants dévoués mais vieillissants, se déconnecter des mouvements sociaux et syndicaux par manque de présence locale.
Knut Lambertin, dirigeant syndical DGB et vice-président de l’aile gauche du SPD, me disait dimanche soir : «Gabriel est le seul à avoir cette perspective stratégique. Mais nous sommes dans un état tellement critique, il nous faut plus de 4 ans pour nous reconstruire. Et Gabriel doit rester pour mener ce travail, car il le comprends, il fait ce travail de reconstruction, sections par sections, fédérations par fédérations».
Ce travail sera difficile en entrant dans une grande coalition avec l’Union. L’aile droite la souhaite, persuadée que c’est sa seule chance pour survivre au sein du parti. L’aile gauche y est opposée, et organise une consultation interne sur le sujet des alliances. Hilde Mattheis, réelue députée et leader de l’aile gauche, a déjà demandé ce mardi 24 septembre une consultation de tous les militants, en excluant la Grande Coalition comme l’option naturelle, et s’est déjà déclarée dans la première réunion du nouveau groupe parlementaire SPD – dans lequel l’aile gauche a augmenté sa représentation – prête pour l’option de nouvelles élections anticipées.
Ralf Stegner, un autre porte-parole de l’aile gauche, a déclaré : «Nous devons être une vraie alternative, et non pas la version gentille de la CDU».
Même le président du SPD de Baden-Würtemberg, Niels Schmidt, pourtant connu pour être à l’aile droite, a souligné que sa fédération est «absolument opposé» à une grande coalition.
L’aile gauche avait déjà posé des conditions politiques ambitieuses à tout ralliement à une telle coalition, persuadée que seule l’expression d’un rapport de force assumé avec Merkel pourrai nous permettre d’en sortir vivant. Pour le salarié allemand, la bonne nouvelle serai ici la mise en place du salaire minimum dés cette législature.
Cependant, le consensus au sein du parti est plutôt à rester dans l’opposition, laissant Merkel gouverner en minorité, et construisant un projet de nouvelle majorité – éventuellement avec les Linke et les Verts – capable de prendre le relais à tout moment.
Le danger ici serait de voir Merkel refuser une telle voie, et tenter de forcer de nouvelles élections en novembre-décembre, recherchant une majorité absolue seule.
Les verts ont aussi porté l’Agenda 2010. C’est souvent oublié, mais Schröder a toujours gouverné au sein d’une coalition avec les écologistes. Ceux-ci ont continué une évolution économique libérale, se ralliant aux politiques de l’offre. La contradiction de leur positionnement et de leur électorat cependant est intenable à terme. Le projet commun entre une aile gauche issue des combats étudiants post-68 et une aile droite enracinée dans le discours anti-nucléaire rural du Sud de l’Allemagne a toujours été la sortie du nucléaire. Les écologistes issus du mouvement citoyen en Allemagne de l’Est ayant conduit à la chute du Mur ont de plus, dû à leurs biographies, une aversion profonde pour l’étatisme et pour les Linke, héritier du parti qui les poursuivit. Ces contradictions sont apparues dés 2011, avec des résultats électoraux brillants gâchés par des scissions dans les groupes écologiques régionaux. La réponse en 2013 fut un gauchissement du programme, avec notamment une réforme fiscale et le recentrage du discours sur la réussite de la transition écologique.
Cependant, dans un contexte où tant la CDU de Merkel que le SPD se gauchissaient dans leur positionnement de campagne, et où l’électorat du centre s’éloignait du FDP, les Verts n’ont pas su offrir une plate-forme crédible et alternative au projet libéral. Une violente campagne sur le passé des Verts, notamment du porte-parole et vice-président Jürgen Trittin, qui fut attaché de presse d’une liste Verte à un congrès début des années 80 défendant les relations sexuelles entre un adulte et un enfant consentant, leur a donné le coup de grâce médiatique.
Le médiocre résultat, perdant 2 points par rapport à 2009, mais surtout finissant derrière les Linke et à presque 8 points des sondages de l’été 2011, les plonge dans une profonde crise de leadership, de positionnement, de programme. C’est la raison principale pour laquelle un projet de majorité de gouvernement à gauche est improbable, de même que la raison pour laquelle Angela Merkel ne souhaite pas gouverner avec eux mais plutôt avec le SPD.
Les Linke sortent affaiblis en voix et en sièges des élections, et pourtant, ils en sortent renforcés sur la scène politique. Malgré des contradictions aussi profondes qu’au sein des Verts, notamment entre l’aile syndicaliste issue des scissions du SPD en Allemagne de l’Ouest, violemment opposée au moindre compromis avec le SPD, et l’aile ex-communiste issue du PDS est-allemand, dominée par des pragmatiques ayant déjà gouverné avec le SPD au sein d’exécutifs régionaux, le parti a réussi à s’établir comme incontournable pour construire l’alternative à Angela Merkel.
Le principal défi est analogue à celui du Front de gauche : faut-il accepter de soutenir un gouvernement dominé par des figures sociales-libérales pour obtenir des avancées sociales, ou bien refuser la compromission de la participation gouvernementale ? Le parti a t-il vocation à gouverner ou à articuler une position tribunitienne ? Ce sont des débats aussi vieux que le mouvement socialiste, aussi pertinents en Allemagne qu’en France.
Beaucoup de Linke espèrent la reconduction d’une Grande Coalition pour pouvoir attaquer le SPD et grossir à son prix. D’autres espèrent que le SPD fera le choix de rester dans l’opposition pour créer les ponts nécessaires à la construction d’un projet de majorité plurielle. Cette ambivalence rends cependant la constitution dés 2013 d’un gouvernement d’union de la gauche très difficile.
L’Europe :
Le nouveau paysage politique allemand renforce en apparence Angela Merkel. Cependant, parce qu’elle n’a plus de majorité, parce qu’elle n’a pas de pression de son aile droite à redouter, elle en deviens plus vulnérable en Europe.
Le SPD ne la soutiendra plus sur l’Europe. La campagne a montré que Steinbrück gagnait des points en attaquant Merkel sur l’Europe. Le sucés du parti anti-euro AfD, qui frôle les 5% nécessaires à une représentation parlementaire, est aussi un signal fort. La bataille politique va se gagner sur le front européen, qui conditionne d’ailleurs tous les autres fronts sociaux et économiques.
Ce serai le moment idéal pour le PSE de lancer une offensive pour un plan de relance européen. Angela Merkel ne peut plus utiliser l’argument d’une majorité faible en Conseil, le SPD pouvant lui donner une large majorité sur des positions de gauche uniquement.
Conclusion :
Le gouvernement sortant a été sorti, la chancelière triomphe, mais ce pourrai être une victoire à la Pyrrhus.
La clarification est cependant particulièrement saine pour la gauche : sans union de TOUTES les gauches, il n’y a pas de perspective de majorité en Allemagne. C’est la nouvelle feuille de route, et c’est le SPD qui va porter l’historique responsabilité de structurer et rendre possible cette alternative.
Espérons que le SPD saura aussi se renouveler, structurellement et personnellement, pour conduire la Gauche allemande et européenne dans ce chemin.
C’est aussi une bonne nouvelle pour nous : la voie Schröder est définitivement enterrée. La Gauche allemande est dans l’état de la gauche française en 1993, avant la constitution du projet de majorité plurielle.
C’est donc une chance unique de voir la gauche européenne retrouver son identité et sa mission historique qui s’ouvre aujourd’hui.
Mathieu Pouydesseau
Bureau Fédéral et Conseil Fédéral FFE (section de Berlin)
Mandataire Maintenant la Gauche FFE
Membre de Forum DL21 (SPD)
Initiateur de l’appel Pour une autre Europe